Vidéozoom. L’entre-images

Commissaire : La Fabrique d'expositions

Artistes : Sophie Bélair Clément, Olivia Boudreau, Jacynthe Carrier, Michel de Broin, Pascal Grandmaison, Frédéric Lavoie, Aude Moreau

Galerie d’art Foreman, Université Bishop’s, Sherbrooke (QC)

16 avril 2015 - 4 juillet 2015

Vernissage : 15 avril 2015, 17 h 00

Vidéozoom. L’entre-images présente une compilation vidéographique d’œuvres de sept artistes du Québec qui ne se définissent ni comme vidéastes, ni comme cinéastes, mais bien comme artistes visuels motivés par l’exploration de l’image en mouvement. Les œuvres qui se trouvent réunies ici ne déploient que trop brièvement leur recherche et ne se veulent aucunement représentatives, dans l’absolu, de la pratique vidéographique et filmique du Québec. Il faudrait un format beaucoup plus ambitieux que celui-ci pour rendre compte de son effervescence impressionnante. Il serait également approprié de prendre en compte le fait que de nombreux artistes – et c’est le cas pour tous ceux que nous avons sélectionnés –, réalisent des œuvres filmiques qui doivent être exposées dans des musées et des galeries en tant qu’installations, leur projection étant conditionnée par des paramètres de formats et d’équipements spécifiques, dans des espaces permettant une expérience de l’œuvre contrôlée de manière particulière pour les visiteurs. La présente exposition, qui prend la forme d’une programmation réunissant toutes les œuvres sur un même écran, offre cependant l’avantage de traduire des sensibilités partagées, de montrer des affinités pour une image souvent très soignée, de témoigner d’attentions à la présence sonore, de révéler des stratégies elliptiques et efficaces de l’image.

Ce projet s’offre donc comme un aperçu, une ouverture, une brèche dans l’immense production d’images qui caractérise le monde actuel. Il faut voir les œuvres comme s’il s’agissait de regarder à travers une fente, une sorte d’entre-images, autant pour ce qu’elles représentent au sein des pratiques contemporaines, que pour ce qu’elles sont individuellement par leurs propres dimensions formelles et narratives : entre la vidéo et le cinéma, entre la pellicule et l’image numérique, entre la présence visuelle et la réalité sonore. Cette notion de l’entre-images, empruntée au théoricien Raymond Bellour1, est d’abord intéressante parce qu’elle sous-entend que nous devons chercher en profondeur, creuser la surface des images, ne pas nous contenter de passer de l’une à l’autre distraitement, superficiellement. De ce fait, il ne s’agit pas de nous arrêter au « passage des images ». Une telle notion implique que la prolifération et la saturation d’images ne sont pas le véritable problème que nous rencontrons aujourd’hui. Comme l’a écrit Pierre Scheffer, « saturés ou pas d’images, nous n’en savons rien, nous n’en saurons jamais rien. Nous n’étions pas au temps des cavernes, où probablement les mecs étaient saturés d’images parce qu’ils avaient la gueule sur leurs graffiti et que c’était bien pire que la télé2 ». Ce propos déjoue un a priori très répandu à l’effet que nous ne saurions plus regarder une image parce qu’il y en a trop. Nous croyons plutôt que ce qui compte, c’est ce qui se passe entre elles, ou entre elles et le son qui les accompagne, ou entre elles et le son et le texte qui les racontent en parallèle. Témoin de leur mouvement, il faut pouvoir capturer leur immobilité. Devant ces figures animées, il faut « refigurer » leur image. Soumis à leur dimension sonore, il faut retrouver leur silence.

Les œuvres réunies pour cette édition de Vidéozoom sur le Québec sont donc un moment d’arrêt sur le travail d’artistes qui sont parmi les plus captivants et les plus entreprenants en matière de recherche sur l’image. Dans ces courtes vidéos se trouve abordée une variété de sujets touchant autant au politique, à la culture populaire, à l’imaginaire télévisuel et cinématographique qu’à l’image poétique. L’accent est mis tantôt sur la forme, tantôt sur la narration ou le contenu, mais le son, le temps, l’archive, le paysage et la performance constituent des éléments de composition entre lesquels ce qui nous est donné à voir se construit.

Plusieurs des œuvres ont été réalisées en fonction d’un paramètre spécifique proposé aux artistes : celui de présenter une œuvre de courte durée, soit moins de quatre minutes. Cette concentration de l’image dans le temps produit un double résultat. D’une part, se restreindre ainsi oblige l’artiste à accélérer le processus de mise en forme de l’idée dans l’image, afin de parvenir à une certaine efficacité perceptive et narrative. D’autre part, une œuvre courte peut produire, chez celui ou celle qui la regarde, un effet de ralentissement : il nous est loisible de prendre le temps de bien regarder, découper, scruter les images une par une pour apprécier pleinement ce qui est donné à voir dans un cadre temporel plus aisément assimilable que devant un long métrage. Dans l’entre-images, un langage prend forme, entre ce qui est perçu et nommé, entre ce qui est vu et désigné, entre le monde et l’art. Car aujourd’hui les images nous confrontent véritablement à ce qu’elles incarnent ou désincarnent, construisent ou déconstruisent, rééditent ou réinventent. Elles sont plus souvent une proposition qu’une démonstration et en cela, elles se font accueillantes.

La Fabrique d’expositions (Julie Bélisle, Louise Déry, Audrey Genois), Montréal, octobre 2012


[1] Depuis le début des années 80, Raymond Bellour a développé une riche analyse des liens entre le cinéma, la vidéo, la photo et les régimes mixtes d’images.
Il a créé, avec Serge Daney, la revue de cinéma Trafic (1991) et publié notamment L’entre-Images (1990) et L’entre-Images 2 (1999). Il a collaboré à l’exposition Passages de l’image au Centre Pompidou et été commissaire de Thierry Kuntzel. Lumières du temps et de Thierry Kuntzel-Bill Viola. Deux éternités proches, au Fresnoy, Tourcoing (France).

[2] Pierre Scheffer, dans Maurice Mourier, Comment vivre avec l’image, Paris, PUF, 1989, p. 340.

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